Le relief du Kauwberg marqué par la
guerre 40-45
Il n’y a pas eu de guerre de tranchées au Kauwberg
- ce qui pourrait apparaître comme tel est en réalité le résultat de
l’excavation de l’argile à brique et fera l’objet d’un prochain
article.
Il n’y a pas eu de combats au Kauwberg - même si le
Kauwberg a servi de terrain d’exercices à l’armée belge, à la
gendarmerie et à la police uccloise qui y ont oublié quelques
douilles.
Le Kauwberg a par contre été l’un des (nombreux
– plus d’une douzaine) sites utilisés pour installer la défense
antiaérienne de Bruxelles en 1945 après que la ville ait été
libérée et les allemands repoussés au delà de la Meuse. A ce titre c’est
sans doute le seul vestige de la guerre dans la Région bruxelloise. Ces
vestiges oubliés méritent une protection adéquate par l’extension
du classement actuel.
Le promeneur qui accède au Kauwberg depuis le chemin
face au cimetière d’Uccle observe de bizarres accidents du relief,
des sortes de petits cratères entourés de buttes. Le promeneur longe l’un
d’eux sur sa droite, juste avant d’arriver à la prairie des vaches
sur sa gauche.
Ces trous sont envahis de végétation, et parfois
cachés par les buissons, arbres et arbustes qui s’y sont
développés. On compte une douzaine de ces trous sur le plateau du
Kauwberg, entre la carrière et l’avenue de la Chênaie. Les anciens
du quartier connaissent tous leur origine.
Les vieux ucclois se souviendront qu’à la fin de la
dernière guerre mondiale les ingénieurs allemands avaient inventé une
arme redoutable, les « bombes volantes » (dont la
technologie de la deuxième génération, avec les V2 de l’ingénieur
Von Braun, servira de base à la construction des premières fusées
américaines et fera office de lanceurs des premiers satellites made in
USA). L’un de ces V1 est tombé dans la vallée de Saint-Job à l’endroit
ou se situe actuellement le clos Drossart qui vint lotir le terrain de l’ancien
camping qui occupait les prairies à cet endroit.
Dans les années soixante les gamins du quartier
savaient que ces trous étaient les emplacements de batteries
antiaériennes, mais sans savoir sur quelles cibles tiraient les
anglais. Cette zone du Kauwberg était en partie une lande herbeuse et
une lande à genêts mêlée de jeunes bouleaux. Les trous étaient
largement apparents et leurs servaient de base plus ou moins fortifiées
pour leur jeux d’aventure. La guerre des boutons n’était pas
toujours loin, sarbacanes et autres armes à projectiles faisant le
bonheur des jeunes combattants. Chaque position était protégée au
mieux et devenait une véritable forteresse, ce qui explique l’érosion
et le presque arasement des trous de batteries ayant participé à ces
grands jeux. Les acteurs de l’époque, ayant aujourd’hui une
cinquantaine d’année se reconnaîtront dans cette courte description.
Aujourd’hui l’origine de ces trous est presque
oubliée, lapins et renards profitent de ces talus pour y creuser les
galeries de leurs terriers, extrayant du beau sable jaune bruxellien par
cette action.
L’occupation du Kauwberg par les troupes anglaises a
fait l’objet d’une étude beaucoup plus sérieuse parue en mai-juin
1999 dans « Ucclensia », le bimestriel édité par le Cercle
d’Histoire, d’Archéologie et de Folklore d’Uccle et environs.
Avec l’autorisation de son auteur, Jean Lowies, nous
reproduisons les larges extraits de son texte qui nous intéressent ici.
« Autour de la
Libération en 1944 et en 1945.
Alors que les ouvrages consacrés à la commune
d'Uccle ne manquent généralement pas de signaler le passage de troupes
étrangères sur le sol communal, aucun ne mentionne, nous semble-t-il,
le séjour de l'armée britannique au Kauwberg en 1944 et en 1945. Qu'en
est-il ?
Après le débarquement en Normandie, atteindre le
Rhin était un objectif stratégique provisoire que le Commandement
Suprême Allié avait assigné à ses troupes. Cet objectif atteint, la
logistique devrait rejoindre avant d'entamer le difficile passage du
Rhin. Il était donc important, dans ce contexte, de conserver intact le
port d'Anvers pour l'acheminement de matériel et armement divers, de
munitions, de carburant et de troupes.
Anvers sera d'ailleurs un objectif privilégié des
attaques allemandes au moyen des bombes volantes dites V1. Bruxelles
sera libérée par la 2e armée britannique en septembre 1944. La 101e
Brigade AA (AA = antiaérienne) fit mouvement dès septembre de
Cherbourg vers Bruxelles.
La situation fut plus ou moins tranquille jusqu'à une
attaque de V1 le 21 octobre. On s'était consacré jusque là au
nettoyage des poches de résistance. Les batteries étaient déployées
en arc de cercle à environ 12 km du centre de la ville face à la
direction d'origine présumée des V1: le nord. En fait, les premières
attaques vinrent du sud-est, de la frontière allemande proche du
Luxembourg. On adapta le dispositif de défense et des observateurs
seront placés dans un rayon de 50 km, couvrant le sud et l'est. Le
dispositif fut à nouveau modifié quand les attaques vinrent du nord.
Si l'organisation générale de la défense mit quelque temps à prendre
forme, elle fut néanmoins en place pour la période cruciale de
décembre 1944 à février 1945.
L'offensive allemande à laquelle la 101e
Brigade AA fit face efficacement opéra en deux phases. La première, en
provenance du sud-est commença à la mi-décembre. Par la suite, les
offensives eurent plusieurs sites de départ situés dans la plaine du
Bas-Rhin. Cette deuxième phase visait plus particulièrement Anvers.
Environ 21 V1 arrivèrent chaque jour. Un certain nombre tombèrent dans
la périphérie de la ville. Ils étaient un objectif difficile à
atteindre: plus petits qu'un avion de chasse et au moins aussi rapides.
Ils n'étaient pas, en outre, affectés par un ciel nuageux. .
Afin d'accorder une protection maximale à la ville et
à ses habitants, les batteries adoptèrent une position de tir qui ne
leur permettait pas d'engager les V1 passant sur les flancs de la ville.
La premier V1 abattu par la 101e Brigade le fut le 31 octobre
1944. Les attaques s'intensifièrent en décembre à raison de 3 vagues
par jour et seulement pendant la journée. Des attaques de nuit vinrent
plus tard.
Résultats statistiques partiels établis
par les services de renseignement britanniques.
Du 1er au 15 novembre 1944, il y eut
109 engagements à Bruxelles et 33 V1 furent détruits. En janvier 1945,
il y eut 19 engagements et 9 V1 détruits. En février 1945 on compte 55
engagements et 35 V1 détruits. Du 1er au 9 mars 1945 on
compte 15 engagements dont 12 V1 détruits.
Pendant les 5 mois que durèrent les combats, la 101e
Brigade eut, à Bruxelles, 526 engagements. Elle détruisit 189
appareils, soit 35,9%.
Les tirs devinrent de plus en plus efficaces au fil
des mois grâce à l'expérience accrue des desservants.
La Brigade utilisa 41.380 obus pour l'artillerie
lourde et 10.683 pour l'artillerie légère. Seulement 65 V1 tombèrent
sur Bruxelles.
À son départ, en mars 1945, la 101e
Brigade AA fut relevée par la 50e Brigade AA.(5)
Une autre source estime que pour toute la durée de la
guerre, 281 V1 et V2 se sont abattus dans le Brabant, tuant 114
personnes. Quelque 8661 V1 et V2 touchèrent 698 cités belges et
tuèrent 6448 personnes et en blessèrent 22.500 autres.(6)
Uccle sera frappée à 7 reprises par les V1.(7)
L'occupation du Kauwberg
Le cantonnement des troupes de la 101e
Brigade au Kauwberg à Uccle se situait à mi-hauteur de la pente menant
de l'avenue Dolez à l'avenue de la Chênaie, à l'emplacement de
l'ancienne briqueterie.
Les logements de la troupe étaient faits de tôle
ondulée courbée rappelant un cylindre coupé dans le sens de la
hauteur et reposant au sol. Les parois étaient couvertes de carton
goudronné destiné à protéger les hommes du froid. Il ne subsiste pas
de traces de cette occupation.
Les installations de défense AA étaient situées sur
le haut de la colline, à hauteur de l'avenue de la Chênaie. Le site
avait alors l'aspect d'une lande d'herbe maigre, piquetée ça et là de
bouquets de genêts. Quelques affleurements de sable et d'argile
étaient visibles.
Le sol fut défoncé afin de procurer protection aux
desservants des appareils et des canons et à ces derniers,
l'horizontalité que leur utilisation exigeait. Une petite cabane en
bois clair était destinée au poste de commandement et à la confection
du thé aux heures adéquates. Un radar auquel était adjoint un
appareillage électronique capable de détecter, situer et identifier
les engins d'agression était en liaison directe avec les batteries AA.
Une multitude de fils couvraient le sol.
Un ou deux projecteurs alimentés par des
générateurs électriques entrèrent en action lors des attaques
nocturnes.
Un camion réservoir de carburant se tenait à
proximité. Enfin, la position comportait des batteries lourdes et des
batteries légères.
Les autorités civiles prêtèrent leur concours par
exemple pour les douches et pour les communications téléphoniques avec
les autres emplacements et avec la Royal Air Force.
(5) History of the Royal Regiment of Arti1ery, volume
intitulé Anti Aircraft Artillery -1914-1955 by Brigadier N.Routledge
OBE. Ed. Brassey's 1994
(6) André Lemaire, V1 sur 1a Belgique. Edit J.M.
(7) Catalogue de l'exposition "40 ans plus
tard" organisée par l'administration communale d'Uccle à la Ferme
Rose en 1980.
Un document secret aujourd'hui déclassé nous indique
qu'à la date du 19 décembre 1944, le Major K.M. Wilkins de la 101e
Brigade, 105e Régiment et 330e Batterie,
logeait avenue Prince d'Orange au numéro 12 à Uccle
Le site actuel de la position n'a plus l'aspect de la
lande parsemée de genêt à balai d'il y a 55 ans. L’espace est, en
effet, couvert de végétation arbustive permettant cependant le
passage. Six emplacements de batteries ou autres engins lourds ont été
relevés. Leur diamètre est d'environ 6 mètres. Les remblais sont
évidemment écroulés. (il en existe en réalité plus d’une
douzaine, dont certains aux bords éboulés et presque disparus –
NDLR- voir liste en bas de page, sous la photo)
Quatre emplacements s'échelonnent irrégulièrement
le long d'une ligne perpendiculaire à l'entrée de la maison portant le
numéro 135. Le deuxième emplacement semble avoir été destiné à une
batterie
AA légère. Deux autres sont perpendiculaires à l'entrée du
cimetière. Le deuxième de ces emplacements reste aujourd'hui
parfaitement visible du fait qu'il se situe dans une prairie.
Je souhaite remercier la Royal British
Legion, plus précisément son Chairman, le Major F.C. Townsend OBE dont
l'efficacité a permis d'obtenir des documents auprès du Service
historique de l'Armée britannique. »