faune et chasse
Accueil Remonter

 

A la demande de l'entente nationale pour la protection de la nature nous diffusons deux textes relatifs au problème de la destruction de la faune prédatrice dans l'intérêt de la chasse

Retour au K Info 39

La destruction des prédateurs sauvages dans l'intérêt de la chasse
(Résumé)

L'importance de la diversité biologique et la nécessité de protéger les espèces en danger de disparition sont aujourd'hui généralement reconnues non seulement par les milieux scientifiques, mais aussi sur le plan politique et par la loi: une série de conventions internationales ont été ratifiées par l'Union européenne(1) qui a elle-même promulgué des actes législatifs importants dans ce domaine, notamment la directive 79/409/CEE concernant la conservation des oiseaux sauvages et la directive 92/43/CEE sur la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages. Or, au sein même de l'Union européenne, un groupe d'intérêt particulier- les chasseurs - se permet de demander à cor et à cri à ses adhérents et aux pouvoirs publics la destruction pure et simple de la partie essentielle de la faune sauvage que constituent les prédateurs et de poursuivre, tantôt légalement, tantôt illégalement, cette destruction.

L'action des chasseurs contre la faune prédatrice s'opère à trois niveaux: d'abord par des pratiques légales, comme la destruction par le tir, les lacets ou autres pièges des renards et des mustélidés (martre, fouine, putois, hermine et belette ). En France, des " piégeurs agréés " sont chargés tout à fait officiellement de cette triste besogne. Vient ensuite ce qui est interdit mais pratiqué clandestinement, par exemple le tir des ra paces ou l'emploi de certains poisons. Mais ce qui est visé, finalement, c'est la " diabolisation " des prédateurs par l'exagération grotesque de leurs " méfaits ", afin de justifier une éradication plus radicale encore. Signalons tout de suite que la plupart des arguments couramment avancés à cette fin sont absolument ascientifiques et souvent plus fantaisistes encore que diffamatoires. Un exemple: " un renard, cela signifie au moins une perdrix de perdue par jour pour la chasse, et les fouines, hermines et belettes, c'est bien pire encore " (sic). Ou encore: " les écologistes lâchent des buses, celles-ci s'attaquent aux lapins et aux lièvres ; voilà donc la raison pour laquelle il yen a de moins en moins " (sic).

Quels sont donc les dégâts effectivement causés par les prédateurs ? Ils sont de deux types : dégâts causés aux animaux domestiques et dégâts causés au gibier. De la première catégorie, nous pouvons exclure d'emblée les pertes de bétail dues aux grands carnivores (ours, loup, lynx) absents de la plupart de nos régions, bien que le lynx se soit réinstallé récemment dans des régions telles que les Alpes, le Jura et les Vosges et que le loup fasse actuellement sa réapparition à divers endroits de l'arc alpin. Les dégâts causés par les petits et moyens prédateurs typiques de nos régions se limitent donc essentiellement à des animaux de basse-cour. Or, il est bien connu que la quasi-totalité des poulets, lapins, dindes et canards consommés dans nos pays proviennent d'élevages de grandes dimensions conçus de manière à rendre presque impossible toute pénétration d'un prédateur. Ce sont donc surtout les petits producteurs qui courent le risque qu'un renard leur vole une poule ou une oie de temps à autre, des dommages plus graves pouvant être subis lorsque, par exemple, une fouine pénètre dans un enclos où elle peut causer des ravages en raison d'une prédisposition psychomotrice expliquée dans des manuels de zoologie élémentaire. De tels dégâts peuvent, certes, être gênants pour un producteur individuel, mais ne constituent pas un problème sérieux au niveau macro-économique ; la solution devrait de ce fait être recherchée dans des mesures de prévention ainsi que dans un système adéquat d'assurance, pour lequel ces producteurs devraient obtenir une aide publique.

Quant aux dégâts causés au gibier par les prédateurs, la quasi-totalité des biologistes spécialistes en faune sauvage rejettent l'idée que des prédateurs sauvages puissent réduire substantiellement une population saine de proies. La preuve en est que dans des régions relativement sauvages telles que les Alpes, le Jura, les Pyrénées ou encore les Carpates, les populations-gibier se portent généralement bien malgré la présence d'une faune prédatrice nombreuse et variée, y compris toute une série de " grandes " espèces disparues depuis belle lurette dans les régions plus " civilisées " (ours, loup, lynx, aigle royal, hibou grand-duc, etc.). Cette thèse a été mise en évidence par de nombreux travaux scientifiques, menés notamment sur certaines espèces de gallinacés .

Toutefois, il existe une catégorie de " gibier " à laquelle les prédateurs sauvages peuvent effectivement infliger des pertes substantielles: c'est le gibier d'élevage lâché dans la nature par certaines sociétés cynégétiques pour compenser la diminution ou la disparition de certaines populations-gibier due à la diminution constante des espaces naturels et semi-naturels dans lesquels ces espèces peuvent se reproduire et prospérer. Ces animaux élevés en captivité et largement inaptes à survivre longtemps dans un milieu qui leur est hostile deviennent très facilement la proie du premier prédateur venu qui ne laissera pas échapper l'occasion. . . Que ces lâchages d'animaux d'élevage
aillent à l'encontre de toute gestion saine de nos ressources naturelles et soient donc contraires à l'intérêt public ne doit certainement pas être expliqué en détail.

L'ensemble de cette problématique est traité de manière plus approfondie (y compris les références bibliographiques nécessaires) dans un document intitulé " La destruction de nos prédateurs dans l'intérêt de la chasse " (auteur: Cl. Geyer) publié récemment par l'Entente nationale pour la protection de la nature qui le tient à la disposition de tout lecteur qui en fera la demande.

(1) entre autres :
Convention de Ramsar sur la conservation des zones humides
Convention sur la diversité biologique
Convention de Bonn sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage
Protocole relatif aux aires spécialement protégées de la Méditerranée

 Contrôle des ravageurs champêtres rodenticides ou lutte biologique ?

Il est bien connu que certaines espèces de rongeurs, notamment le Campagnol des champs (Microtus arvalis), le Campagnol terrestre (Arvicola terrestris) et le Mulot sylvestre (Apodemus sylvaticus), peuvent causer des dégâts, parfois importants, aux cultures. Ces espèces ne sont pas très abondantes dans une nature équilibrée, mais lorsque 1 'homme est passé du stade de la chasse, de la pêche et de la cueillette de fruits sauvages à une civilisation agricole, elles se sont particulièrement bien adaptées aux nouvelles formes de paysage créées par celle-ci, y compris les plus récentes d'entre elles, les cultures intensives. De sorte que I 'homme, à mesure que ses méthodes de production agricole évoluaient vers des monocultures de plus en plus étendues, à dû inventer de nouvelles méthodes pour contrôler les populations des rongeurs qui n'ont pas manqué de profiter à leur manière de la manne ainsi produite par le génie humain. Les produits employés actuellement à cette fin sont appelés " rodenticides chimiques )) et appartiennent essentiellement à la famille des anticoagulants, à savoir des substances qui empêchent la coagulation du sang et font mourir par hémorragie interne l'organisme qui en absorbe une dose létale.

Ces substances, pour efficaces qu'elles soient dans la lutte contre les dits ravageurs, présentent une série d'inconvénients : d'abord, les populations "cibles)) peuvent développer une résistance aux produits employés, de sorte que ceux-ci ne produisent plus l'effet visé, et d'autre part, ces produits ont une fâcheuse tendance à tuer non seulement les " nuisibles " que l'on veut détruire, mais aussi d'autres espèces et notamment leurs ennemis naturels, de sorte que l'on crée un cercle vicieux bien connu: plus on emploie ces produits, plus on détruit non seulement les ravageurs visés, mais aussi leurs concurrents et prédateurs naturels. En effet, toute une série d'espèces se nourrissent régulièrement de ces " nuisibles " et contribuent, ainsi, à en contenir l'expansion : des rapaces diurnes (tels que la Buse variable, le Faucon crécerelle, le Milan royal), des rapaces nocturnes (Chouette effraie, Chouette chevêche, Hibou moyen-duc, etc.), des mammifères carnivores tels que le Renard, les mustélidés (Martre, Fouine, Putois, Hermine, Belette), certains reptiles (entre autres la Couleuvre, la Vipère) qui subissent, eux aussi, les effets des produits utilisés. Et comme les populations prédatrices mettent toujours plus longtemps à se rétablir que les populations proies, on favorise fortement la prochaine pullulation des ravageurs qui se fera sans le contrôle de leurs ennemis naturels !

Les dégâts causés aux populations prédatrices de rongeurs par les campagnes aux rodenticides sont très difficiles à évaluer, d'une part parce que tout animal - et donc aussi les prédateurs a tendance à se cacher quand il souffre, de sorte que les victimes d'empoisonnements par rodenticides sont rarement retrouvées, surtout le cas d'espèces vivant principalement sous terre comme l'Hermine (Mustela hermina) et la Belette (Mustela nivalis) et, d'autre part, parce que les analyses pour déterminer exactement les causes de la mort d'animaux retrouvés nécessitent des installations sophistiquées et coûtent très cher. Néanmoins, des études plus approfondies ont été effectuées au moins à deux reprises, la première fois dans le Jura suisse en 1982 et la seconde en Franche-Comté en 1998.

Pour ce qui est de la Suisse, une campagne au bromadiolone (nom commercial du produit utilisé: Arvicostop) avait été menée dans le canton de Neuchâtel en raison d'une pullulation du Campagnol des champs, et l'analyse des résultats de cette campagne a révélé des conséquences absolument désastreuses pour la faune sauvage: disparition complète de la population nicheuse de Buse variable (Buteo buteo) dans la région traitée, par intoxication indirecte; nombreuses victimes chez les espèces telles que le Milan royal (Milvus milvus), le Hibou moyen-duc (Asio otus), l'Autour des palombes (Accipiter gentilis) et divers corvidés ; disparition de toute la population du Renard dans la zone traitée, vraisemblablement par intoxication directe; pertes plus difficiles à évaluer d'autres carnivores; mustélidés, Chat sauvage (Felis sylvestris), Hérissons (Erinaceus europaeus).

Dans le deuxième cas - celui de la Franche-Comté - des examens plus approfondis de tous les cadavres d'animaux retrouvés dans la zone traitée, menés par le réseau SAGIR (Service de l'Office National de la Chasse en France), ont permis de dresser une liste plus complète des pertes subies: pour 138 Buses variables, 28 Grands corbeaux, 1 Héron cendré, 94 Renards, 18 Sangliers, 11 Blaireaux, 5 Lièvres, 1 Chevreuil, 1 Lynx, 1 chien de chasse, le décès à la suite d'une absorption d'anticoagulants a été établi.

Or, s'il est difficile d'évaluer l'impact global de la faune prédatrice sur les populations de rongeurs ravageurs et de savoir exactement si elle est en mesure d'empêcher des pullulations, il est certain que son action est importante et peut, en tout état de cause, faire diminuer considérablement la fréquence, la durée ainsi que l'étendue de ces pullulations. L'ensemble des effets d'une espèce prédatrice sur les populations de ses proies fait l'objet d'un chapitre de la biologie moderne, connu sous le nom de " relation prédateur/proie ", qui tente de saisir cet effet sous forme de relations mathématiques. Des études de terrain ont confirmé ces rapports mathématiques pour de nombreux couples prédateurs/proies.

Certaines modifications des pratiques culturales permettent également de réduire sensiblement le danger de pullulation de rongeurs; dans les régions où les campagnes aux anticoagulants ont eu les effets désastreux décrits plus haut, la conduite extensive des herbages, la diversification des grandes étendues herbagères par des zones labourées pourraient contribuer de manière significative à réduire ce danger. Ces techniques sont d'ores et déjà employées par les agriculteurs biologiques dans de nombreuses régions et on fait leurs preuves. Pour que de tels efforts soient couronnés de succès, il faudrait néanmoins que la faune prédatrice soit complète et se porte bien, ce qui n ' est malheureusement pas le cas en raison de la destruction systématique de ces espèces - légale pour ce qui est d'une partie au moins des prédateurs mammifères et complètement illégale pour ce qui est des oiseaux rapaces - par les chasseurs.

Vu l'intérêt d'une faune sauvage bien portante et complète, notamment en vue de limiter les pullulations de rongeurs nuisibles qui, à leur tour, exigent des mesures de lutte anti-ravageurs produisant les effets désastreux que l'on connaît, cette destruction insensée de la faune prédatrice dans le seul intérêt de la chasse va à l'encontre de l'intérêt public et doit donc cesser. L'ensemble de cette problématique est traité de manière plus approfondie (y compris les références bibliographiques) dans un article intitulé " Contrôle des ravageurs champêtres - rodenticides ou lutte biologique ? (auteur: Claus Geyer) " publié récemment par l'Entente Nationale pour la Protection de la Nature, qui le tient à la disposition de tout lecteur qui en fera la demande .

Retour au K Info 39